Egalement appelé depuis cette année (il s'agit de la seconde édition) la Survival Expo, l'événement se déroula du 22 au 24 mars 2019 et compta près de 10 000 visiteurs à Paris ! Un succès pour un marché de niche, bien qu'en réalité il ne se réduise pas aux survivalistes : les amoureux de la nature - randonneurs comme pêcheurs ou chasseurs - font aussi partie de la cible, ainsi que les écolos intéressés par l'autonomie. Le salon rempilera donc du 20 au 22 mars prochains pour la troisième édition de ce Salon du Survivalisme 2020 à venir.
En attendant, voici un retour sur cette édition 2019. Tout le long de la journée, des conférences concrètes ont été réalisées, qu'elles soient orientées sédentarité (mode de vie propice à une autonomie énergétique et alimentaire), comme celles sur le montage d'une éolienne ou les potagers, ou davantage axées sur la survie en milieu hostile comme "Soldat versus survie : mythe ou réalité ?", "Trek en milieu hostile", "Reconnaître les plantes sauvages" et même "Vivre 11 jours sur une paroi de 1000 mètres" donnée par l'alpiniste française (et multiple championne du monde) Catherine Destivelle. Des conférences plus théoriques ont été aussi proposées, avec "Survivre en famille, est-ce possible ?" ou encore "Rupture de la normalité : fuir ou rester ?". Tous ces sujets pouvaient être l'occasion de discussions entre inconnus et renforcer les liens d'une communauté dans laquelles ses membres qui peuvent se sentir seuls dans leur conviction, et qui sont tiraillés entre l'individualisme "chacun pour soi" de la survie et la nécessite de jouer collectif pour survivre (paradoxe qui conduit les théoriciens de la survie à proposer de se préparer personnellement mais aussi de tisser des liens positifs et solides avec son voisinage).
En dehors des conférences, de nombreux étals proposaient divers objets (pas seulement des couteaux) et on trouvait aussi des ateliers sur l'allumage d'un feu avec un silex, une formation aux premiers secours, un stand de lancer de haches (sympa quand on sait que cette activité coûte entre 10 et 30€ de l'heure dans Paris), ou encore la présentation d'un stage pour apprendre à constuire une éolienne soi-même.
La vie est courte, parfois trop courte, les survivalistes le savent bien, et si la première section de cet article sera sérieux (il s'agira d'un compte-rendu non exhaustif d'une conférence qui m'a plu), les suivantes seront un peu plus humoristiques, parfois piquantes comme la pointe d'un couteau bien aiguisé...
To flee or not to flee
Fuir ou ne pas fuir : cette question existentielle, qui concerne tant le randonneur qui croise le chemin d'un ours que le survivaliste dans son appartement de ville, était l'objet de la conférence "Rupture de la normalité : fuir ou rester ?" de Renan Le Quellec.
Ce dernier mentionna tout d'abord que des cartes établissant les risques d'incendie, d'inondations, d'accident nucléaire existent et qu'elles permettent de se faire une meilleure idée des dangers de sa localité. Localité qui, via son plan ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile : il permet de faire face aux risques naturels, technologiques ou sanitaires), propose dans ses plans d'urgence un cheminement d'évacuation pour la population. Un point assez pertinent soulevé par Le Quellec est que ce parcours d'évacuation pourrait vite être saturé par le grand nombre de personne quittant la localité au même moment, avec la formation d'embouteillages par exemple. Il serait donc utile de penser à un chemin de substitution à l'itinéraire officiel proposé.
Mais comme le dit Le Quellec, le survivalisme ne se cantonne bien souvent pas aux risques habituellement envisagés (catastrophes naturelles, coupure électrique...), mais aussi aux risques de rupture de la normalité. Cette dernière peut être prévisible, en lien avec un effondrement du système (crise économique, putsch militaire) ou être simplement une rupture éclair du système : réseaux endommagés par une tempête, explosion d'une usine ou troubles sociaux occasionnant barrages et risques pour des communautés stigmatisées.
Fuir de chez soi avec son sac d'évacuation peut être très difficile si l'on est accompagné de sa famille, ou si on n'a nulle part où aller : partir vivre dans la forêt, à part à court terme, peut s'avérer rapidement difficile pour des raisons de manque de ressources ou de santé. Au final, à moins de connaître un endroit sécurisé où se rendre (en espérant que la phase de déplacement se passe bien) ou de devoir impérativement fuir (contamination chimique, émeutes violentes...), il peut être plus pertinent de consolider son habitation habituelle et d'y rester. Voici les principaux pré-requis évoqués par le conférencier :
- Le domicile (idéalement une maison) doit être défendable. Cela passe idéalement par la disposition des lieux, qui peut reposer sur une base naturelle une colline procurera les avantages de la hauteur : de la visibilité et une ascension plus difficile pour les assaillants. La présence d'une falaise, de grands rochers, pourront également faire office d'obstacles, même si l'enceinte restante devra être close par un mur, doté éventuellement d'un fossé (un mur de 2 mètre et un fossé d'un mètre donne déjà une hauteur de 3 mètres). En plus de cela, des moyens de défense comme des projecteurs solaires à détecteur, des alarmes à piles, du gravier crissant ou un animal prévenant de l'arrivée d'intrus ne seront pas inutiles. Etre intégré à son groupe de voisins permettra de bénéficier de la dissuasion du nombre, nécessaire par exemple pour défendre une grande ferme, en faisant des tours de garde. Si on se trouve en appartement, il sera stratégique - car demandant moins de moyens - de sécuriser la porte du hall d'immeuble, souvent le seul point d'accès (avec la porte du parking). Habiter au rez-de-chaussée est l'emplacement le plus risqué, en particulier du fait des fenêtres qui peuvent donner sur la rue. De même pour les premiers étages, les fenêtres peuvent faire l'objet d'effraction ou d'au moins de jet de projectiles se retrouvant à l'intérieur du domicile.
- Être en mesure de remplir ses besoin primaires sur une durée longue (eau, nourriture, soins, énergie -notamment pour le chauffage, plus que pour la télévision- , la sécurité...). Afin de prendre ces mesure sans inquiéter sur sa santé mentale, le conférencier recommande de se dire prévoyant, comme si on prenait une assurance contre les catastrophes possibles.
- Ne pas appartenir à une communauté susceptible d'être prise à partie, notamment si elle est localement minoritaire (attaquer un groupe minoritaire est moins risqué pour les agresseurs)
- Conserver néanmoins une solution de repli (hébergement chez de la famille ?) avec la possibilité d'une évacuation rapide (avec un sac déjà prêt)
La préparation doit aussi se faire de manière plus personnelle, qu'elle soit physique ou mentale (gestion du stress notamment, conserver une attitude adaptée). Une préparation intellectuelle (cartographie, zoologie) et technique (acquisition du matériel qui doit être testé, éprouvé) est aussi nécessaire. Ces aspects se retrouve dans le concept de pyramide de la survie, donc voici le résumé visuel que j'en fait :
Ainsi, une bonne condition mentale et physique, ainsi que des connaissances et un savoir-faire, permettront d'être plus adaptable qu'un équipement qu'on ne sait utiliser (et qui peut être difficilement transportable), voire qui - de part son aspect particulier - pourrait attirer l'attention sur soi (nous en reparlerons).
Bug out bug
Les plats proposés au salon pour le déjeuner étaient tous carnivores : saucisses, burgers... Il ne devait pas y avoir beaucoup de vegans à ce salon, et il valait mieux pour eux étant donné qu'un stand de tir à l'arc proposait de tirer sur du gibier (ramené des Ardennes pour l'occasion) !
Ces cibles en forme d'animaux étaient d'ailleurs plutôt bien faites, visuellement réussies et vibrant sous l'impact des flèches.
Si un visiteur du salon n'était pas friand de viande, il pouvait néanmoins se rabattre sur des insectes grillés (et en général très salés et épicés, pour éviter toute fadeur). Une friandise d'apéritif à vrai dire plutôt agréable, à tester avec une bonne bière...
Le marketing est bon, les vendeurs sympathiques, néanmoins, on peut s'interroger sur la commercialisation à grande échelle des protéines d'insectes : vu le prix, elles semblent plutôt destinées à une consommation pour amuser ses amis que pour une consommation régulière...
Les boîtes d'insecte étaient en effet généralement vendues 7€ les 15g, soit 467€ le kilo ! Autant manger du saumon à ce prix-là, ce poisson goûtu coûtant 20 fois moins cher que les grillons. Ou tant qu'à faire, le caviar n'étant que 3 fois plus cher que des insectes, pourquoi se priver ?
Ce prix est donc étonnant et laisse songeur, d'autant que le prospectus d'une des sociétés exposante affirme que la production d'insectes nécessite bien moins d'espace, d'eau et de nourriture que pour la même quantité de viande... En tout cas, un tel pricing de la part de ces start-up empêchera la scalabilité du produit (sa démocratisation, pour ceux qui ne connaîtraient pas le vocabulaire de notre start-up nation) qui semble cibler pour le moment une niche de consommateurs (très) ponctuels avec de bons revenus : ce business model risque de ramener assez peu de leads, et leur traction auprès du public cible ne compense pas leur faible rétention, tout cela laissant penser qu'un a affaire à des entreprises peu bankable. Ne soyons pas mauvaise langue et reconnaissant que certaines de ces entreprises proposent à présent des produits disruptifs : des barres énergétiques ou des pâtes qui incorporent une certaine dose d'insectes. Les prix restent élevés, mais ne côtoient plus celui du caviar (en contrepartie, la quantité d'insectes dans le produit est plus faible), et l'appart calorique plus important de ces packagings permet de leur trouver une utilité pratique pour des randonnées, les insectes ayant le mérite de fournir une bonne quantité de protéines. A voir si un growth hacking ciblant à la fois randonneurs sur survivalistes suffira à faire de ces strat-up des licornes ou de misérables insectes.
La technique du tactique
Le marketing à destination des survivalistes n'hésite pas à utiliser la stratégie du tactique.
Le mot tactique, non seulement sonne bien, mais son contexte habituellement militaire évoque à la fois le combat (qui est souvent associé à la virilité brute) et les aspects plus stratégiques. Adopter l'équipement tactique, c'est donc être un homme, un vrai, et malin ! Non seulement le matériel tactique fait écho à la virilité et à l'efficacité, mais ce terme peut aussi déclencher une excitation liée au fait que le fait que ce mot guerrier est relativement discret, et dont le sens profond est surtout perçu par les initiés.
On comprend donc bien cette technique marketing, cette "tactique du tactique", mais les équipements ainsi nommés sont-ils supérieurs en terme de qualité ? Il faut voir au cas par cas, mais un bon rapport qualité/prix n'est pas forcémeent respecté, les prix pouvant monter plus vite que la qualité... En tous cas, ces équipements sont bien souvent supérieurs en terme de prix.
Pourtant, sont-ils une si bonne affaire pour les adepte de la survie ? Si porter un sac tactique renforce sans doute un peu la confiance en soi, il pourrait s'agir d'un piège en situation de crise. L'aspect militaire peut dissuader mais aussi annoncer que le sac contient de l'équipement de bonne qualité... Face aux pillards, on conseille plutôt la tactique stratégie de l'homme gris.
On remarquera que les vêtements tactiques sont l'équivalent survivaliste des vêtements techniques dans la milieu du sport. On entend parler sur les sites sportifs, à décathlon, mais même les marques non sportives s'y mettent : "Chemise en laine mérinos technique", "Tee-shirt laine mérinos technique", etc. Ce genre de qualificatifs fait office de mot-clé assez puissant en terme d'imaginaire qu'il dégage. On a déjà vu ce qu'il est était pour le mot "tactique", quant au mot technique il est supposé être synonymes d'efficacité et de confort même pendant le sport (via une bonne évacuation de la sueur, par exemple).
Au final, si on met à bas les artifices marketing, on en revient à l'ancienne...
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